segunda-feira, 25 de agosto de 2008

GEÓRGIA

Pourquoi la Russie nous menace

Par Pasquier Sylvaine, Alla Chevelkina, mis à jour le 22/08/2008 à 17h40 - publié le 22/08/2008lexpress.fr

L'expédition punitive menée contre la Géorgie dépasse de loin le cas des séparatistes prorusses. Moscou veut récupérer son rang et peser de tout son poids sur ses anciennes zones d'influence. Pas seulement dans le Caucase. Un défi d'autant plus sérieux pour l'Occident que le Kremlin, sûr de sa force, ne craint pas l'isolement.
 

© U. Sinai/Getty Images/AFP . Un soldat russe, près de Gori, le 13 août, au lendemain d'un accord de cessez-le-feu que Moscou violera à maintes reprises.

Sous l'oeil d'une caméra, un tankiste russe, l'air mauvais, défie le cessez-le-feu: «Nous allons prendre Tbilissi [la capitale géorgienne], nous allons tout prendre. La Russie gagne toujours.» C'était il y a quelques jours, non loin de Gori, ville fantôme proche de l'Ossétie du Sud et ravagée durant l'offensive de Moscou contre la Géorgie. Le «plan de paix» négocié le 12 août par la présidence française de l'Union européenne (UE) impose le retrait des troupes sur les positions antérieures au conflit. Mais, au lieu de regagner le nord du Caucase, la 58e armée traîne les pieds, peu disposée à lâcher sa proie.

© Ria Novosti/Reuters . Vladimir Poutine. Son animosité envers le président géorgien est l'une des composantes du conflit.

Ses unités occuperaient déjà plus d'un tiers du territoire géorgien, coupant peu à peu la capitale de l'ouest du pays. Et, après avoir démantelé les défenses de l'adversaire, elles s'acharnent à détruire, comme pour renvoyer la Géorgie au marasme des années 1990. Selon l'ONG de défense des droits de l'homme Human Rights Watch, l'aviation russe a utilisé des bombes à sous-munitions - interdites dans plus d'une centaine de pays - dont les vestiges représentent un danger mortel pour les civils.

A présent, dans diverses localités, des témoins ont rapporté avoir vu des militaires russes creuser des tranchées - signe que l'occupation s'installe. Sous le feu des protestations internationales, Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie russe, réplique avec hauteur que Moscou maintiendra ses troupes «autant qu'il le faudra». Face à l'obstruction russe, les ministres des Affaires étrangères de l'Otan ont apporté en début de semaine leur soutien à Tbilissi.

©N. Kolesnikoya/AFP . Des chars russes se dirigent vers Tskhinvali, capitale de l'Ossétie du Sud, le 16 août. La Russie entend maintenir ses troupes « autant qu'il le faudra ».

La semaine dernière, Ilia Kramnik, expert militaire auprès de RIA Novosti - agence russe d'information sous tutelle étatique - annonçait la «création d'une zone de sécurité» sur le pourtour des régions séparatistes, Ossétie du Sud et Abkhazie - prélude à un dépeçage aggravé de la Géorgie. Quel est le périmètre concerné ? Pour l'instant, Moscou n'en dit rien. Le 12 août, à l'issue des négociations de cessez-le feu, le président français, Nicolas Sarkozy, avait en effet évoqué des «mesures additionnelles de sécurité» que pourraient adopter les forces russes. Mais exclusivement, soulignait-il, à «proximité immédiate de l'Ossétie du Sud» et dans l'attente d'un mécanisme international.

Avatar de l'Union soviétique, la Russie réapparaît, tel un spectre orwellien, sur le devant de la scène internationale. Pour elle, l'heure de la revanche a sonné. Elle savoure à présent sa victoire sur un pays 244 fois plus petit qu'elle et dont les forces armées représentaient tout au plus l'équivalent d'une seule de ses divisions motorisées. Le fait que quelques unités géorgiennes aient été entraînées par des instructeurs américains ajoute encore à l'euphorie russe. Avec l'invasion de la Géorgie, Etat souverain aspirant à l'intégration euro-atlantique, les règlements de comptes Est-Ouest par pays tiers interposé reprennent du service. Dopée par sa puissance nouvelle, la Russie tolère de moins en moins d'avoir à composer, dans ses zones d'influence traditionnelles, avec la présence américaine, l'expansion de l'Otan ; et désormais, les incursions de l'Union européenne (EU), trop divisée cependant pour faire obstacle à ses ambitions. L'expédition punitive lancée contre la Géorgie sous couvert de protéger les séparatistes d'Ossétie du Sud a toutes les apparences d'une guerre de reconquête. Les dirigeants de la Communauté des Etats indépendants (CEI) ne s'y sont pas trompés. Aucun, pas même le dictateur biélorusse, Alexandre Loukachenko, n'a soutenu cette entreprise. Vladimir Poutine, paraît-il, n'en décolérait pas.

Lucides, des diplomates américains et européens auraient averti le chef de l'Etat géorgien, Mikheïl Saakachvili, de ne pas céder aux provocations osséto-russes, car Moscou n'hésiterait pas à réagir. Spécialiste des questions de défense, le Moscovite Pavel Felgenhauer estime que les dirigeants russes n'attendaient qu'un prétexte pour s'en prendre à Tbilissi. Député du parti poutiniste Russie unie et politologue, Sergueï Markov confirme que les plans d'intervention étaient prêts: «Ces derniers temps, il y avait en permanence des consultations au plus haut niveau. Les troupes étaient en ordre de bataille. On s'attendait à la guerre.» Il aurait d'abord été question d'utiliser des volontaires du Caucase du Nord, des milices cosaques... mais décision a été prise d'avoir recours à l'armée régulière. Face à «l'offensive nazie déclenchée par Saakachvili, éructe le député, il n'y avait pas d'autre choix». Pour stigmatiser le dirigeant géorgien, entre «marionnette des Etats-Unis» et «Hitler caucasien», Markov n'est jamais en peine.

Désormais Premier ministre, Vladimir Poutine a largement éclipsé son successeur au Kremlin, Dmitri Medvedev, durant la phase la plus intense de l'invasion. En Russie comme à l'étranger, beaucoup y ont vu la preuve qu'il continuait à détenir le pouvoir réel, alors que l'actuel chef de l'Etat peine à s'affirmer. En apparence, ce dernier peut paraître plus modéré. Mais «il tient exactement les mêmes propos que Poutine sur le bouclier américain antimissile, sur l'Otan et l'indépendance du Kosovo», souligne Isabelle Facon, à la Fondation pour la recherche stratégique. A l'égal de son Premier ministre, il n'a rien cédé durant la négociation sur l'accord de cessez-le-feu. En Russie, ce pouvoir bicéphale a un nom: «tandemocratie».

© D. Mdzinarishvili/Reuters . Soldats géorgiens près de Tskhinvali, le 10 août. Après avoir échoué dans sa tentative pour reprendre le contrôle de l'Ossétie du Sud, la Géorgie a retiré ses troupes.

Avant la guerre, la diplomatie géorgienne tentait d'enfoncer un coin entre les différents pôles où s'élabore la politique étrangère russe : le ministère lui-même, où règne Sergueï Lavrov, imprécateur à l'anti-occidentalisme virulent ; le Kremlin, où Medvedev a hérité de Sergueï Prikhodko, un professionnel sans états d'âme qui avait déjà servi Eltsine et Poutine ; enfin, le cabinet du Premier ministre, où venait d'être recruté l'ex-ambassadeur de Russie aux Etats-Unis depuis 1999, Youri Ouchakov. L'appelant à son côté, Vladimir Poutine a fait de lui, de facto, son conseiller diplomatique, signe qu'il entend garder la main dans ce domaine. Cette partie de billard à trois bandes aurait pu produire des résultats si la situation ne s'était détériorée aussi vite entre Moscou et Tbilissi.

© D. Mdzinarishvili/Reuters . Poutine ne croit qu'aux démonstrations de force. Une résidente de Gori blessée lors des bombardements du 9 août. Ravagée par l'offensive, cette ville fantôme est aujourd'hui contrôlée par les Russes.

Obsédé par la rivalité russo-américaine, Markov croit savoir qui a poussé Saakachvili à attaquer l'Ossétie du Sud : «C'est Dick Cheney [le vice-président américain]», assène-t-il. Pourquoi ? Parce qu'une «guerre en Géorgie ne pouvait que rehausser la popularité de John McCain, candidat républicain à la présidence des Etats-Unis, en perte de vitesse face à son adversaire démocrate Barack Obama». La théorie du complot a encore de beaux jours devant elle...

Plus la Russie se sent assurée d'elle-même, plus elle devient facteur d'instabilité. Atterrée par l'offensive contre Tbilissi, la Pologne a signé avec les Etats-Unis la semaine dernière l'accord ouvrant la voie à l'installation sur son sol d'éléments du bouclier américain antimissile. Aussitôt, l'état-major russe a haussé le ton, avertissant ce pays membre de l'UE et de l'Otan qu'il devenait une «cible prioritaire». Solidaire de la Géorgie et dotée elle aussi d'un tropisme euro-atlantique, l'Ukraine risque fort d'être à son tour dans la ligne de mire. La flotte russe de la mer Noire ayant quitté sa base de Sébastopol (Crimée) pour organiser le blocus des ports géorgiens, Viktor Youchenko, chef de l'Etat ukrainien, a décrété qu'elle devrait désormais avertir Kiev de ses mouvements soixante-douze heures à l'avance pour recevoir des autorisations - mesure qui a ulcéré les responsables russes. Les Etats-Unis, l'Union européenne cherchent le moyen de contrer les agissements russes. Exclusion du G 8, report de l'entrée à l'OMC... ? Pour l'heure, la Russie n'en a cure, s'accommodant d'être soutenue par Cuba et le Venezuela, les seuls pays qui se soient rangés à ses côtés. Dans le reste du monde, elle est perçue comme un agresseur et «se retrouve dans un isolement quasi total», constate Andreï Illarionov, ancien conseiller économique de Poutine passé à l'opposition. Mais peu importe aux maîtres du Kremlin, qui ne croient qu'aux démonstrations de force. Avec une constance qui ne cesse d'enfoncer la Russie dans le fantasme ravageur de la grandeur perdue.

Pétrole et gaz dans la bataille

La Géorgie joue un rôle essentiel dans l'acheminement vers l'Europe du pétrole et du gaz de l'Azerbaïdjan - dont c'est aujourd'hui la seule voie d'exportation hors du réseau russe. Elle abrite deux oléoducs : le Bakou-Soupsa, 830 kilomètres, en service depuis 1999 ; et surtout le Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), 1 768 kilomètres, opérationnel depuis 2006. Le premier aboutit sur la côte de la mer Noire, le second en Méditerranée, dans le sud de la Turquie. L'un et l'autre sont désormais fermés sur le parcours géorgien. Opérateur de ces tubes, British Petroleum (BP) en a décidé ainsi peu après que Moscou eut envoyé ses troupes à l'assaut de la Géorgie. Le 9 août, dans la nuit, un missile russe frappait une localité proche du BTC sans toucher l'ouvrage. Erreur de tir ou avertissement

La Russie a bataillé ferme contre la réalisation de cet oléoduc - doublé en partie par le gazoduc sud-caucasien Bakou-Tbilissi-Erzurum - qui entame son monopole sur le transport des hydrocarbures de la Caspienne et de l'Asie centrale. En juin dernier, elle n'a guère apprécié que le Kazakhstan, riche en or noir, signe avec l'Azerbaïdjan un accord pour exporter en 2010 une partie de son brut par le BTC. Quant au Turkménistan, lassé d'avoir à céder son gaz à bas prix au russe Gazprom, il a offert d'en vendre directement à l'Europe dès 2009 - à condition de l'acheminer par une autre voie que la Russie.

Dans la logique de Moscou, estime Isabelle Facon, l'« une des opportunités ouvertes par cette guerre est de discréditer la Géorgie comme voie de transit pour les hydrocarbures de la région Caspienne. C'est aussi un coup porté aux efforts de l'UE pour diversifier ses sources d'approvisionnement ». Le projet du futur gazoduc européen Nabucco risque d'être lui-même compromis.

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