Olivier Appert, le président de l'Institut français du pétrole (IFP) remarque que depuis le début du XXIe siècle les prix de l'ensemble des matières premières, de l'énergie, mais aussi des produits alimentaires et des métaux ont crû de manière parallèle.
Pétrole et 'Trente Glorieuses' des pays émergents
17/06/2008 | Mise à jour : 14:55 |
On constate depuis le début de ce siècle une croissance parallèle des prix de l'ensemble des matières premières, de l'énergie, mais aussi des produits alimentaires ou des métaux. Ainsi le prix du pétrole, exprimé en kg de blé ou de cuivre, est du même ordre de grandeur aujourd'hui qu'en 2000. Le parallélisme de ces évolutions s'explique par un même phénomène économique mondial : l'offre peine à suivre une croissance de la demande tirée d'abord par l'économie américaine, puis par le dynamisme des pays émergents. Les années 1990 ont été marquées par des niveaux de prix bas de l'ensemble des matières premières, ce qui a conduit à réduire les investissements. Dans ce contexte, les stocks étant bas, l'équilibre des marchés des matières premières n'a pu être atteint que par une croissance forte des prix.
Le ralentissement des économies des pays de l'OCDE a laissé penser brièvement que l'on pouvait être à la veille d'une récession mondiale et d'un reflux des prix. Mais, selon le FMI ou la Banque mondiale, cette hypothèse n'est pas la plus probable. On assisterait plutôt à un découplage de l'économie mondiale, les pays développés entreraient dans une phase de croissance ralentie, alors que les pays émergents dynamiques amorceraient leurs «Trente Glorieuses». Ainsi, le FMI anticipe toujours un rythme de croissance, en 2008 et 2009, de 8 % à 9 % tant pour la Chine que pour l'Inde.
Si l'on retient cette hypothèse, quelles sont les perspectives à moyen terme pour les marchés de l'énergie, en particulier pour le pétrole ? Rappelons que celui-ci représente 35 % de la consommation énergétique mondiale et 97 % de la consommation du secteur des transports. Même si l'économie mondiale ralentit, les besoins en pétrole devraient continuer à croître tirés par les pays émergents. Ainsi, à moyen et long terme, la demande de pétrole augmente de 3 % lorsque le PIB mondial augmente de 5 %. En revanche, la demande est peu réactive aux hausses du prix du baril. Ceci s'explique par le fait qu'une augmentation n'est répercutée que de façon atténuée sur le prix à la pompe, compte tenu de l'impact de la fiscalité (taxation forte dans certains pays, subvention dans d'autres). Ainsi, un doublement du prix du pétrole ne se traduit au niveau mondial que par une hausse de 20 % du prix à la pompe en monnaie constante, ce qui ne réduit la consommation que d'un peu plus de 3 %.
L'offre peine à satisfaire cette soif de produits pétroliers. Les ressources existent, mais la difficulté est de les produire. La hausse des prix a favorisé le «nationalisme pétrolier» : les grands pays exportateurs, qui disposent de 85 % des réserves mondiales, ne sont pas incités à augmenter leur production et ils ont réduit ou fermé l'accès de leur domaine minier aux compagnies internationales.
On se retrouve donc dans un nouveau paradigme du marché pétrolier. Le renchérissement du baril n'induit pas une augmentation de l'offre suffisante pour satisfaire l'ensemble des besoins, qui ne cessent de croître avec le développement économique des pays émergents. Par conséquent, le marché s'équilibre grâce à une hausse du prix, qui augmente jusqu'à atteindre le niveau permettant de «détruire la demande marginale». La faible réaction de la consommation au prix et la forte influence du revenu impliquent un niveau d'équilibre de plus en plus élevé.
Y a-t-il un plafond pour le prix du pétrole ? Théoriquement, le prix du pétrole est limité par le coût des énergies alternatives. Mais ce coût est encore élevé et, surtout, le prix du pétrole doit se situer durablement à un niveau proche de celui de ses concurrents pour que les investissements massifs nécessaires à leur développement soient mis en uvre. Certes, de nombreux pays ont engagé des politiques volontaristes de réduction des consommations d'énergies dans un contexte de développement durable et de lutte contre le changement climatique. C'est le cas de la France avec le «Grenelle de l'environnement». Les États-Unis ont aussi opté pour des standards de consommation de carburants pour les véhicules neufs. Mais ces mesures n'auront pas d'effet significatif avant cinq à dix ans.
Si, à court terme, il n'y a pas de plafond, en revanche il y a un plancher. En effet, les coûts de production ont augmenté. Les besoins financiers des pays producteurs ont crû. Si les pays de l'Opep ne sont pas en mesure de contrôler le marché à la hausse, ils ont les moyens de le contrôler à la baisse en réduisant leur production. Les positions récentes de l'Opep sont éclairantes à ce sujet.
L'économie mondiale risque donc d'être confrontée à un contexte de prix croissant du pétrole. Les allusions à un baril à 200 $ sont de plus en plus fréquentes, de tous côtés. Goldman Sachs l'a évoqué, ainsi que le président de l'Opep. Un tel scénario, qu'on ne peut pas exclure, aurait des conséquences majeures sur l'économie mondiale. C'est en premier lieu le cas des pays pauvres : alors qu'ils sont frappés de plein fouet depuis 2002 par l'inflation énergétique et alimentaire, il est tous les jours plus difficile pour leurs populations de satisfaire leurs besoins les plus élémentaires. Cette situation met en danger non seulement l'économie de ces pays, mais aussi la démocratie. La stabilité de régions entières pourrait donc être menacée. Un tel niveau de prix de l'énergie renforcerait les inégalités à l'intérieur de tous les pays, y compris les pays industrialisés, comme l'a montré récemment une étude de l'Ademe. Les conséquences géopolitiques seraient majeures. La hausse des prix de l'énergie augmenterait en effet de façon très importante les ressources financières des grands pays producteurs, tels que les pays du golfe Arabique ou la Russie. Ils disposeraient de ressources considérables leur permettant d'investir massivement dans l'économie mondiale. Des pans entiers d'activités de nos économies seraient fragilisés
Comment l'économie mondiale peut-elle éviter un tel scénario ? Les responsables politiques et économiques doivent engager au plus tôt des politiques ambitieuses visant à améliorer drastiquement l'efficacité énergétique et développer des substituts n'émettant pas de gaz à effet de serre. Cela passera inévitablement par une évolution des comportements. À moins que l'économie mondiale ne connaisse une crise due à d'autres causes.
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