quinta-feira, 26 de junho de 2008

SOFT POWER

OMI – Organisations

Matérialisées d'Influence

 

L'influence, avons nous souvent répété ici, suppose des techniques de diffusion ou des messageries (des médias) mais aussi des médiations collectives. C'est un sport d'équipe qui se pratique dans des structures particulières que nous nommerons les Organisations Matérialisées d'Influence (alias OMI)

 

Cette notion regroupe globalement trois catégories :

 

- les Organisations Non Gouvernementales (alias ONG) et assimilées, c'est-à-dire les associations "issues de la société civile" qui défendent une "valeur" (la préservation, l'amélioration, la conquête d'un droit ou d'un idéal) et agissent sur le terrain

 

- les think tanks (alias TT), des centre de recherche produisant des idées ou des solutions conçues pour être appliquées par des gouvernants, ou du moins s'efforçant d'analyser la réalité et ses changements pour les éclairer

 

- les lobbies qui défendent des intérêts particuliers par proposition, négociation, argumentation, etc. auprès des législateurs et des dirigeants.

 

Bien entendu - de même qu'il existe des ONG proches des églises ou des groupes politiques, des think tanks pseudopodes de partis ou des lobbies qui sont quasiment des syndicats, les trois pôles de l'édifice ne sont pas si opposés. De même qu'il n'est toujours facile de distinguer action concrète, production d'idées, défense d'intérêts et promotion de valeurs, il n'est si aisé de savoir

 

- si certains think tanks ne sont pas, en réalité des producteurs de légitimité intellectuelle pour lobbies,

 

-si certains lobbies n'agissent pas comme des think tanks ou se se dissimulant en ONG,

 

-et si certaines ONG ne fonctionnent pas plus comme des think tanks plus soucieux de réflexion que d'action sur le terrain ou si elles ne font pas du lobbying pour des intérêts.

 

Les OMI se reconnaissent d'abord à ce qui les distingue des autres organisations humaines :

 

- Leur but principal n'est pas dans l'association, ni dans la satisfaction qu'éprouvent les membres de se retrouver pour partager des activités ou des émotions ; Elle n'est ni dans l'affectio societatis des membres, ni même dans l'amélioration de la vie, de l'esprit ou du corps qu'ils espèrent en retirer. Chacun de ces éléments peut être présent à petite dose mais il importe bien moins que l'objectif général : agir sur le monde réel en fonction d'une stratégie. Nous pourrions dire que le but de l'OMI est de changer le monde même marginalement (encore que certains lobbies essaient désespérément d'empêcher le monde de changer). Ou du moins, leur but est de changer une réalité qui leur tient à cœur, qu'il s'agisse de sauver la planète (ou la baleine bleue) ou de protéger les intérêts des producteurs de petits pois des tracasseries bruxelloises.

 

 

 

- Leur objectif est d'ordre qualitatif et non quantitatif : elles visent sinon le Bien Commun, du moins un état du monde meilleur (meilleur pour le continent africain, pour la puissance de leur pays, pour les pandas, pour les buralistes, les victimes du racisme ou les détenteurs d'armes à feu…) . Certaines (les lobbies) cherchent ouvertement le profit, mais elles le font en vendant leur compétence pour faire progresser une certaine vision du Bien. Si les OMI produisent et vendent, ce ne sont ni des choses, ni des services mais des changements opérés sur des décideurs ou des populations Même s'il peut leur arriver de vendre des brochures ou des T shirts pour se financer et mêmes si lobbies et TT peuvent vivre de contrats avec des commanditaires. Bref, que ce soit de façon militante ou mercenaire, les OMI propagent de la croyance. Une croyance en des faits ou des idées nouvelles qu'elles produisent et non pas qu'elles transmettent à la façon d'une église. De la croyance et non du savoir pur à la façon d'un centre de recherche ou d'une université : les idées ne les intéressent qu'autant qu'elles trouvent repreneurs.

 

- Pour le dire autrement : les OMI s'intéressent aux idées applicables plus qu'aux idées vraies, à l'action plus qu'à la connaissance et considèrent la vérité ou le savoir que dans la perspective de changer les choses en changeant les gens.

 

- Elles visent à un pouvoir indirect.. Il ne s'agit donc pas de s'emparer d'une forme préétablie d'autorité pour réaliser ensuite leur programme ou leurs idéaux à la façon de mouvements politiques. Il s'agit de changer la façon d'être et de penser des acteurs (ou de ceux qui pèsent sur les acteurs). Une OMI ne donne d'ordre à personne et, en principe, n'achète personne pour obtenir ce qu'elle veut (même si dans la réalité, les lobbies recourent souvent à la corruption). Mais elle entretient nécessairement des rapports indirects et souvent ambigus avec les détenteurs du pouvoir. Avec le politique d'abord, puisqu'il est souvent leur première cible : faire agir les détenteurs de l'autorité démocratique dans un certain sens. Avec le pouvoir économique ensuite, dans des relations encore plus ambigües ou se mêlent dénonciation, coopération, conseil, négociation...

 

- Les OMI ont toutes à voir avec l'opinion qui est leur matière première. Pour autant, elles ne cherchent pas toujours à faire un maximum de convaincus (dans le but de sauver leur âme ni leur faire partager une révélation philosophique ou autre) ; elles s'efforcent de convaincre ceux qui feront avancer la cause avec une minuscule (celle d'intérêts bien précis) ou avec une majuscule (au sens de l'idéal).

 

- Ces machines à adhésion fonctionnent en deux temps : elles élaborent des propositions, puis cherchent des relais pour les faire appliquer (des gouvernements, des organisations internationales,des médias, des citoyens)

 

- À la différence d'un syndicat, elles ne représentent pas des gens qui ont le même statut, ou sont caractérisés par leur origine ou leur appartenance, Elles représentent des gens ou des entités qui visent un but.

 

- Elles ont en commun plusieurs stratégies :

 

Une spécialisation plus ou moins vaste : cela peut aller jusqu'à la politique étrangère en général ou l'écologie pour certains jusqu'à la défense d'une PME régionale ou d'une espèce rare de coléoptères. Mais une OMI qui prétendrait traiter de tout perdrait toute crédibilité ou ce serait un parti politique.

 

Une expertise dans leur champ spécifique, source d'une légitimité intellectuelle, médiatico-populaire ou d'une flatteuse réputation professionnelle. Dans le cas des ONG, expertise implique professionnalisation. Au temps des militants débordants de bonne volonté mais parfois maladroits, succède celui des spécialistes salariés (dont ceux de la communication).

 

Le ressort de l'inspiration : elles lancent des mots, des concepts, de programmes ou des suggestions dont le but est d'être repris (par de chercheurs et auteurs, par le milieu intellectuel, par les élites, par les médias, par l'opinion, par les juristes...)

 

La séduction du message, dont elles soignent parfois la mise en scène ou la médiatisation dans les moindres détails.

 

Dernière caractéristique commune plus récente : elles tendent depuis quelques années à participer à l'élaboration de la norme : traités internationaux, soft law (des normes juridiques plutôt générales et incitatives et sans sanctions précises) ou codes éthiques et normes pour les ONG, diplomatie "privée" ou fonction "programmatique" pour les think tanks, participation au processus législatif ou administratif pour les lobbies. Ils sont en effet de plus en plus consultés que ce soit en raison de leur représentativité, comme source d'information "venue du terrain" ou pour leurs analyses et propositions.

 

Ces réserves faites les trois types d'OMI diffèrent par bien d'autres points :

 

- Une ONG agit, souvent en lieu et place d'un État déficient, en construisant une école, en relogeant ou soignant des malheureux. Un lobbyiste ou un think tanker ne crapahutent pas dans la jungle après un typhon et ils sont rarement vu occupant la chaussée enchaîné à ses camarades.

 

- Les ONG jouissent parfois d'une énorme légitimité auprès du public qui fait bien davantage confiance à leur engagement éthique qu'au dévouement de ses gouvernants. Les think tanks peuvent bénéficier d'un grand prestige intellectuel à la mesure de la qualité ou de l'impact supposés de leur production théorique. Les lobbies ne comptent que dans la mesure où ils sont représentatifs : si leurs "clients" ne suivent pas, ils n'ont pas de raison d'être. Mais, là aussi, il faudrait nuancer ces trois légitimités par la noblesse des buts, par la qualité de l'expertise ou par la puissance des mandants. Des ONG peuvent déclarer qu'elles représentent la "société civile planétaire" et interpeller les gouvernants ou les dirigeants de multinationales. Ainsi lors de certains sommets du G8, les altermondialistes utilisèrent l'argument : nous représentons six milliards d'hommes (qui ne les avaient pourtant pas élus pour porter leur voix, mais dont certains avaient des gouvernements fort démocratiques). De même l'expertise des ONG ou des lobbies n'est pas leur moindre force : ainsi, leur connaissance des dossiers, leur capacité d'avancer des preuves chiffrées ou des arguments scientifiques face à des fonctionnaires qui ne peuvent pas être des spécialistes de tout.

 

- Leur force de frappe est assez différente.

 

Les ONG ont un vaste pouvoir de critique, dénonciation et sanction. Elles peuvent surveiller et analyser un politique ou une pratique économique, mettre au pilori médiatique un gouvernement ou une entreprise et les punir en les traînant devant les tribunaux, en organisant un boycott, des actions spectaculaires ou des mobilisations de manifestants.. Elles peuvent même les juger, en ce sens que de nombreuses entreprises viennent solliciter une évaluation ou démontrer leur "compliance", leur conformité aux critères fixés par les ONG. Ces denières ont en quelque sorte une ébauche de pouvoir législatif, exécutif et judiciaire de fait.

 

Les lobbies peuvent menacer : ainsi leurs adhérents pourront cesser de financer tel ou tel parti, ou encore ils engageront une campagne de presse. Il arrive que les lobbies suscitent des manifestations publiques contre les projets de lois. Mais à ce stade, les différences s'atténuent : nous ne dirions pas que le manifestant qui fait brûler des pneus est un lobbyiste, mais un syndicaliste ou un membre d'une organisation paysanne. Tandis que nous traiterions de lobbyiste des producteurs de maïs l'homme en costume qui essaie d'obtenir des modifications de quotas de production dans les bureaux de Bruxelles. Mais le second représente et parfois déclenche le premier.

 

Quant aux TT, leur capacité de nuisance est assez restreinte à critique intellectuelle et à son écho médiatique. Sous ces réserves, un "rapport d'experts" présenté dans le bon contexte peut avoir un effet très déstabilisant sur la politique d'un gouvernement ou d'une entreprise, s'il trouve des relais : partis, associations, médias...

 

- Corollaire : leur capacité d'agir sur l'opinion est très différente. Pour les ONG, c'est la matière première de leur action. Et pour leur fonctionnement interne qui repose largement sur des dons, et pour leur action externe qui suppose souvent une grande visibilité médiatique et une mobilisation maximale de l'opinion, il est important de toucher "les gens". Pour les lobbies, ce peut être une stratégie entre autre, et parfois celle du dernier recours, quand les choses ne se sont pas réglées à l'amiable, par des ressorts administratifs ou juridiques : mais les lobbyistes doivent souvent alors passer alliance avec des associations, des syndicats et mener de vraies campagnes ... Quant aux TT, ils sont censés s'adresser aux élites, mais beaucoup d'entre eux ont compris l'intérêt d'être connus du grand public. Outre quelques satisfactions secondaires (être connu facilite la recherche de fonds et aide à recruter les meilleurs experts si leur ego n'est pas trop hostile à une bonne médiatisation), l'action directe sur l'opinion peut faire partie de objectifs du think tank. Certains avouent leur rôle pédagogique, voire leurs ambitions idéologique de propager certaines valeurs ou certaines convictions.

 

Même si aucune des formes d'OMI n'est neuve (les trois sont au moins centenaires), leur montée en puissance est un phénomène récent et frappant qui s'est traduit par le succès d'idées comme "société civile" ou "gouvernance".

 

Elle est liée à l'évidence à plusieurs de phénomènes qui ont le plus changé notre monde au cours des deux dernières décennies :

 

- La mondialisation dans tous les sens du terme : circulation "sans frontière" des gens, des choses, des informations mais aussi des cultures, des dangers... Les OMI sont mieux adaptées à cette diversité et à ces interactions.

 

- Que l'on soit défenseur d'un intérêt matériel ou d'un intérêt "idée"l (idéologie, préoccupations écologiques, éthiques, sociétales ou autres "altruistes") il y a de plus en plus intérêt à s'organiser en dehors de l'État et de la conquête de l'État (suivant le schéma classique : production de la doctrine, d'où le programme, d'où le parti, d'où la conquête de l'État par les élections ou la révolution, d'où l'application du programme, d'où la réalisation de la doctrine). Cette situation reflète ce qu'il est convenu d'appeler crise du politique (son impuissance à changer la réalité et la perte de confiance qu'il subit) ou crise de la représentation ( p.e. : le système de délégation aux gouvernants fonctionne de moins en moins dans nos démocraties d'opinion). De façon générale l'idée qu'il existe un instance spécifique chargée d'établir les règles du bien commun, l'État est quotidiennement remise en cause, et par en haut (tout ce qui échapper au contrôle de l'État territorial que ce soient les contraintes économiques planétaires ou l'action des organisations internationales) et par en bas (l'action de la société civile et sa répugnance à se soumettre aux formes traditionnelles de l'autorité.

 

- Le passage à ce qu'il est convenu d'appeler la "société de l'information" favorise l'émergence des OMI qui travaillent sur et par l'information, et dont l'action est, par exemple, énormément facilitée par les technologies de l'information et de la communication.

 

- Il faut enfin rapprocher le montée des OMI de la notion de société du risque. Plus nos sociétés sont sensibles aux catastrophes, aux crises, aux dangers (peut être pas plus grave objectivement qu'il y a trente ans, mais bien mieux connus par le public et bien moins supportés), plus cela favorise les OMI. En effet, elles se légitiment largement par le principe de la détection et de la prévention des risques que ce soit sous la forme théorique des TT (analyse voire futurologie), sous la forme rhétorique des lobbies (qui présentent leur solution comme la moins dangereuse économiquement, sociologiquement, politiquement, écologiquement, etc.), ou par les ONG dont une des références les plus constantes est la préservation (de l'écologie, des équilibres, des victimes de catastrophe humanitaire...) et la protection contre des dangers émergen

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