quinta-feira, 26 de junho de 2008

SOFT POWER

Contrer et prolonger la puissance

huyghe.fr - Le site de François-Bernard Huyghe
Les politiques d'influence: prestige, diplomatie publique, softpower


Les techniques d'influence (dont le lobbying) en intelligence économique ont un complément : les politique étatiques à travers des médias, la "diplomatie publique" ou le "softpower...

En politique étrangère, la notion d'influence ne prend sens que par rapport à celle de puissance. Si la puissance d'un État est proportionnelle à ce qu'il possède (des ressources, des armes, une population, des richesses…), son influence dépend de ce qu'il reçoit:

- des soutiens diplomatiques ou autres, des facilités pour développer certaines activités, des sympathies…
Et cela, en apparence sans rien concéder en échange, ni recourir à la violence, donc sans mesurer sa force à l'aune d'une résistance ou rien donner au cours d'une négociation. La puissance est – sans jeu de mots - toujours en puissance, en ce sens qu'il lui faut se manifester, éventuellement contre une autre forme (une autre armée, un autre compétiteur économique) pour se transformer en un pouvoir effectif. Donc pour garantir une chance d'obtenir ce que l'on veut d'autrui. L'influence se constate après coup et par ses effets. Si l'État B a fait ce que souhaitait l'État A comme spontanément, il faut bien expliquer cela par l'influence. Ou encore : l'opinion internationale, les médias, les organisations dites de la société civile ont soutenu l'action de A, de telle sorte que les gouvernements n'ont pu que suivre.

La puissance se mesure soit en chiffres (un PNB de tant, tant de milliers de kilomètres carrés, tant de têtes de missiles, tant de millions d'habitants…) soit de manière plus impalpable en termes de supériorité technologique, scientifique ou autre, mais toujours par comparaison. Mais l'influence naît d'une relation assez mystérieuse : les autres veulent la même chose que vous, jugent comme vous et souvent, désirent vous imiter. Peut-on obtenir cet effet délibérément voire systématiquement ?

Art antique, techniques modernes


Aussi l'idée d'avoir une politique étatique d'influence – ne serait-ce que pour économiser l'usage de sa puissance – n'est pas neuve. Quand, pour préparer les guerres médiques, Darius achetait des citoyens grecs afin qu'ils soutiennent des positions favorables à la Perse dans leurs propres cités, ou quand Alexandre, après avoir conquis un pays, s'empressait de se proclamer fils des dieux locaux et incitait ses généraux à prendre des épouses autochtones, ils menaient des politiques d'influence. Quand Sun Tse conseille à un souverain de fournir du vin et des concubines au roi voisin pour amollir son caractère, où d'encourager les dissensions et les jalousies dans le camp d'en face, il s'agit toujours de politique d'influence. Et pourtant ces exemples ont près de deux millénaires et demi.

Il existe depuis longtemps des stratégies positives d'attraction ou d'imitation (exporter son modèle, présenter une image favorable) ou des stratégies de répulsion (rendre l'adversaire odieux, lui faire perdre ses partisans ou ses alliés, le diaboliser). Ces stratégies se déclinent de diverses façons : idéologie, modèles de consommation, style de vie, culture, prosélytisme religieux, présence dans les organisations internationales, réseaux, diffusion d'une langue, de normes intellectuelles, techniques, juridiques…

Même s'il est toujours possible de trouver des ancêtres à toute politique de ce type et même s'il n'y a rien de vraiment nouveau sous le soleil, le recours systématiques à des techniques d'influence, y compris pour agir sur des populations étrangères, est né ou s'est révélé au vingtième siècle. Depuis la première guerre mondiale, des agences de relations publiques (on ne les baptisera spin doctors qu'à partir des années 80) font ce travail pour qui les paie. Depuis l'entre-deux-guerres, les rivalités géopolitiques s'accompagnent ostensiblement de luttes d'influence idéologiques avec des relais et des alliés. Et depuis la guerre froide, il existe des structures d'État officiellement chargées d'agir sur les opinions publiques étrangères par des relais médiatiques ou autres.

Bien entendu, les changements technologiques déterminent largement les politiques d'influence. Payer un auteur pour écrire un libelle diffusé à l'étranger (comme les pamphlets contre les rois ou les protocoles des sages de Sion), émettre comme le faisait Radio Free Europe au-delà du rideau de fer, avoir le monopole des images d'un conflit comme CNN en 1991, ce n'est pas la même chose que de tenter de contrôler la Toile ou de diriger l'attention de millions d'internautes à l'ère du Web 2.0.

Imitations persuasion et séduction


La culture française nous porte facilement à réduire une politique d'influence à une politique de prestige. Pour caricaturer, c'est l'idée que notre pays ne devrait avoir que des amis (parmi lesquels de bons clients) parce que nous sommes le pays de la liberté, des droits de l'Homme, de la qualité de vie, de la vraie culture, de la langue des élites… ou encore que nous sommes naturellement favorables à la diversité et au multilatéralisme et que cela devrait se payer en dividendes économiques et diplomatiques.

De façon générale, la politique d'influence recouvre un vaste éventail :

- Gagner des marchés, rendre d'autres pays plus réceptifs à ses produits, en y trouvant des relais, en faisant en sorte que les consommateurs y deviennent plus désireux de certains biens ou d'un certain style de vie

- Agir sur les décisions d'organisations internationales, y faire jouer ses amis dans le sens de ses intérêts

- Avoir des alliés et des relais d'opinion dans d'autres États, le cas échéant favoriser leur succès politique dans leur pays

- Soutenir les réseaux politiques ou religieux plus ou moins affiliés

- Jouir d'une bonne image en général, susciter une préférence spontanée

- Employer des professionnels de la communication (ou leurs méthodes) pour peser sur les décisions d'autorités nationales ou internationales, mais aussi pour défendre sa réputation auprès d'une opinion et de médias étrangers,

- S'assurer que ses positions seront relayés par des ONG prestigieuses, des autorités religieuses, morales, culturelles dans les forums internationaux ou auprès des médias

- Former ou formater les élites des autres

- Faire passer une idée auprès d'une opinion étrangère, s'adresser directement à elle par-dessus la tête de ses gouvernants,

- Le cas échéant, créer des médias pour cela, exercer une véritable propagande hors frontières

- Susciter un rejet d'un rival, le décrédibiliser, le diaboliser

- Mener en sous main des actions de désinformation ou de déstabilisation contre des entreprises ou des autorités étrangères qui contrarient votre politique

- Encourager certaines mentalités, cadres intellectuels, valeurs, catégories, codes… qui rendront les relations plus faciles, qui amèneront les autres à penser, travailler, juger comme on le désire. Par exemple faire de telle sorte que les élites d'un autre pays soient familières avec votre langue, vos normes juridiques, techniques, comptables, éthiques…

- Conclure des alliances informelles

Il serait difficile de trouver un pays qui à une époque ou à une autre, ait davantage excellé dans chacun de ces domaines que les USA.
Surtout, les Américains théorisent ce qu'ils font, ils le disent et ils le nomment. D'où une profusion de concepts, souvent ronflants et redondants.

Cela donne suivant les époques :

- La guerre « pour les cœurs et les esprits » ou la « guerre culturelle » lancée notamment par la CIA contre l'URSS

- La « diplomatie publique » confiée en particulier à l'US Information Agency (et devenue après une courte période d'oubli, un sous-secrétariat d'État) avec ses Radio Free Europe, Voice of America, ses bourses pour étudiants, ses tournées pour journalistes étrangers
.
- L'influence « stratégique », les opérations psychologiques, actions de «guerre cognitive» ou « guerre de l'information » et autres vocables volontiers employés par le Pentagone pour désigner quelque chose qui, au final, ressemble à de la propagande

- Les « relations publiques » et « advocacy role » que mènent pour le compte des USA des agences de communication privées

- L'élargissement du modèle technologique, culturel et économico-politique des USA (enlargment) ou le « formatage de la mondialisation » (shapping the globalization)

- Le « social learning », formation des élites de pays étrangers, surtout de l'ancien bloc de l'Est à la démocratie ou au mode de gouvernance occidental

- Le « soft power », un terme lancé par le doyen Joseph Nye, la faculté d'attraction exercée par les USA et leur modèle, une notion que l'on oppose volontiers au « hard power ». C'est d'ailleurs cette notion qui est le plus souvent employée par les commentateurs.

Les nouvelles règles du jeu

On se souvient qu'un peu plus d'un an après le 11 Septembre, un texte de Robert Kagan avait fait grand bruit : Dans
La puissance et la faiblesse, il décrivait le divorce entre U.S.A. et Europe, aussi différents que Mars et Vénus. Les premiers, disait-il entendaient jouer le rôle d'un Léviathan assurant l'ordre planétaire. La seconde manifestait sa phobie de la puissance par un juridisme pointilleux comme de vains appels à la négociation et au droit international. À l'époque, ce texte avait été interprété comme une apologie de la force brute. Par la suite, dans Le revers de la puissance, l'apologiste le plus emblématique du « hard power » est revenu sur ses positions, et a reconnu que les U.S.A. sont incapables de gagner une influence à la mesure de leur puissance. Dans la mesure où ils prétendent exercer leur hégémonie au nom de valeurs universelles, non de leurs intérêts, ils ont désespérément besoin du consensus du monde libéral. Et cette légitimité, l'Europe tendra de plus en plus à la lui refuser, dixit Kagan, pour deux raisons de fond. D'une part, nous n'avons pas la même perception des périls : les U.S.A considèrent que toute leur stratégie est polarisée et justifiée par la Global War On Terror (guerre globale à la terreur que certains nomment « quatrième guerre mondiale »), pas les Européens. D'autre part, le principe même de prééminence sans contrôle contredit les principes libéraux (le multilatéralisme quand c'est possible, l'unilatéralisme quand c'est nécessaire, disait-on du temps de Clinton).

Dans tous les cas, la stratégie américaine se heurte à deux limites. La première est la limite de son « hard power ». Il n'est plus question, désormais, de transformer le Moyen-Orient d'abord (et le reste du monde ensuite) par une contagion de révolutions démocratiques (dont la vitrine devait d'abord être l'Irak !). Ni de terroriser l'axe du Mal, ni d'affronter tous les ennemis à la fois (quitte à supporter les jérémiades juridiques de quelques Européens et de leur amour immodéré du multilatéralisme et de la négociation).

La stratégie voulue par les néo-conservateurs a subi un triple échec :

- en politique étrangère (après l'Irak et l'impuissance face à la Corée du Nord, les négociations avec l'Iran montrent que l'Axe du Mal est loin d'être écrasé),

- en politique intérieure avec le succès ses démocrates aux dernières élections législatives (mais le fait que G.W. Bush soit devenu un des présidents les plus impopulaires après avoir été le plus populaire de l'Histoire US ne garantit absolument pas l'élection d'un candidat démocrate en 2008)

- mais aussi sur le plan de l'idéologie : une doctrine qui se réclame à la fois du retour aux grands principes moraux et de l'efficacité d'une politique et qui échoue sur ce double plan perd beaucoup de sa force de séduction.

Mais l'échec américain dans le projet d'expansion d'un modèle universel dont les USA seraient l'incarnation – ou pour le dire plus simplement encore, l'incroyable montée de l'antiaméricanisme après le 11 Septembre 2001- n'implique pas l'inefficacité de leur politique d'influence économique. Elle fonctionne souvent, qu'il s'agisse de présence active dans les organisations internationales, de lobbying, de production de normes techniques ou du « soft law », (les règles-types et codes généraux faisant l'objet d'un engagement volontaire, meilleures pratiques, …).

Par ailleurs, il serait très réducteur de penser la question de l'influence uniquement en termes d'influence américaine (plus ou moins assimilée à celle du libéralisme ou de la mondialisation).

Comme l'a montré la prolifération des chaînes internationales d'information par satellites, qui sont souvent des outils d'influence assumés (al Jazeera, Tv Sur, CCN, Russia Today ou France 24 pour la France…), il n'y a pas de monopole américain en ce domaine. Par ailleurs, il serait temps de s'intéresser à des politiques d'influence balbutiantes ou que nous percevons mal comme celle de la Chine et de l'Inde. Par dépit, peut-être de ne pouvoir parler d'une politique d'influence européenne…

Enfin la privatisation de l'influence, que ce soi au profit des médias ou des ONG et autres groupes d'influence, sans parler du terrorisme qui est après tout un mode d'influence par l'horreur, est un facteur déterminant des futures politiques nationales.



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